dimanche 15 juin 2008

Basilique - Avioth (55)


La légende :


Il y avait dans la forêt de Verneuil-Grand, une immonde bête mi-homme mi-bouc connue sous le nom de Warabouc. Le monstre, peut être d’ailleurs même le diable en personne, célébrait les sabbats avec les sorcières de la région dans la forêt qui lui servait de demeure. Un jour une jeune fille fort courageuse s’invita dans le cercle magique.


La forêt de Verneuil-Grand, la demeure du Warabouc

Au moment précis où le Warabouc allait officier, elle fit le signe de croix et rendit la créature impuissante et douce comme un agneau. Elle le conduit alors jusqu’à la basilique d’Avioth où le Warabouc disparut dans de grandes gerbes de flammes. En souvenir de l’acte de bravoure de la jeune fille on trouve à Avioth, une petite statue la représentant avec la bête.


Une représentation de la légende (sur le site Avioth.fr)


La réalité :

Avioth est un haut lieux de l’univers légendaire meusien. Il faut dire que la basilique a de quoi marquer les esprits : dans ce petit village, l’édifice religieux est complètement disproportionné tant par ses dimensions que par la richesse de ses sculptures. Plusieurs légendes ont donc pu voir le jour dans ce superbe écrin, dont celle du Warabouc.


La première partie de la légende se déroule à environ 3 kilomètres de là, dans la forêt de Verneuil-Grand, qui se trouve sur un relief du terrain, et qui dut probablement être un lieu de sabbat dans l’imaginaire collectif.

Verneuil-Grand... en route pour le sabbat


La statue du warabouc: une désillusion ?

La statue se trouve dans la basilique d’Avioth, accrochée au second pilier à gauche. On pourrait s’attendre, pour commémorer une telle légende, à voir une grande statue trônant en bonne place dans cette grande basilique. Et bien non. La représentation est petite puisque haute de 87 cm, accrochée en hauteur et peu visible. Certes, elle est placée en face de la porte usuellement utilisée mais elle n’occupe pas vraiment une place centrale. Etrange comme commémoration d’un miracle local. Mais peut être pas tout à fait….

En fait, la légende n’est apparue qu’après la sculpture, et non pas l’inverse et pour cause…. La statue datant du 15ème siècle, ne représente non pas le Warabouc et la jeune fille, mais Sainte Marguerite d’Antioche et son dragon.


Le warabouc d'Avioth...

Mais alors ? Dragon ou bouc ? Si l’on regarde attentivement la statue, la réponse est évidente : aucunes traces de cornes, mais par contre une petite aile aux pieds de la jeune femme, et une queue. Il s’agit donc d’un dragon et nullement d’un bouc. D’ailleurs en comparant cette sculpture avec d’autres représentation de Marguerite d’Antioche, les similitudes ne font aucuns doutes, notamment quand à la position de la sainte par rapport au dragon… mais c’est ce que nous verrons par la suite.


... ressemblant étrangement à Sainte Marguerite d'Antioche (cathédrale Saint Pierre, Beauvais). Photo base Palissy.

Il reste la question de la transformation du dragon en bouc. Qu’il y est une statue de Sainte Marguerite d’Antioche à Avioth, ne semble pas particulièrement extraordinaire. On trouve de très nombreuses représentations de la sainte un peu partout en France. Il faut dire que les dragons ont été à la mode.

Après tout n’est que supposition.
On peut imaginer que la sainte perdit son identité dans les limbes du temps et surtout de la culture populaire pour devenir une jeune fille anonyme. Quant au dragon : de monstre à diable, il n’y a qu’un pas (d’ailleurs les deux seraient d’origine diabolique selon certaines versions des deux légendes). Puis de diable à homme-bouc, ce n’est qu’une question de vocabulaire, car le diable est souvent représenté, notamment au cours des sabbats, en créature, mi-homme mi-bouc.


Mais on peut aussi imaginer que la légende ne fut rattachée à la statue qu’artificiellement.


Sainte Marguerite d’Antioche et le dragon :

Sainte Marguerite ou Sainte Marine n’est pas un personnage historique, mais est un personnage de légende rapporté en occident par les croisades. Cette légende est parfois confuse tant elle peut varier. Pour ce qui est des grandes lignes, sainte Marguerite serait née en 290 en Anatolie. Alors qu’elle est une jeune bergère de 15 ans (elle est parfois une jeune fille de bonne famille), le préfet Olybrius tombe sous le charme et veut l’épouser. La jeune femme refuse d’abandonner ses croyances pour celles, païennes, d’Olybrius et repousse les avances du préfet.


Sainte Marguerite gardant les moutons (on voit aussi Olybrius)- Jean Fouquet

De rage, celui-ci jette Marguerite dans une cellule et lui impose maintes tortures, mais la jeune fille ne renonce pas à sa foi. La légende rapporte que le diable vint au secours du préfet pour faire céder la sainte, et prit la forme d’un dragon. A noter que selon les versions, le dragon n’est pas nécessairement une incarnation du diable.

D’un signe de la croix le dragon qui voulait dévorer Marguerite est repoussé. A peu près toutes les versions s’accordent à conter que la sainte fut tout de même dévorée par le dragon, mais il ne semble pas exister de lien avec la première confrontation. La sainte s’extirpa des entrailles de la bête en déchirant le ventre grâce à la croix qu’elle portait à la main (parfois autour du cou).
Voila pourquoi Marguerite est généralement représentée au dessus du flanc du dragon, comme sur la sculpture associée à la légende du Warabouc. Cet acte légendaire explique aussi pourquoi on invoque la sainte dans les accouchements.


Sainte Marguerite foulant le dragon - Charles Alphonse Dufresnoy

Certaines des versions rajoutent qu’après ce geste elle exorcisa le dragon en lui passant une étole autour du cou.

Malgré toutes ces épreuves, la légende raconte que Marguerite fut décapitée sur ordre d’Olybrius. Comme quoi la vie de sainte est ingrate.


Les tueurs de dragons : parlez plus fort dans le sauroctone.

Sainte Marguerite d’Antioche fait partie de la grande tradition des saints dit « sauroctones » c'est-à-dire tueurs de lézards (sauriens). En d’autres termes : des tueurs de dragons. Marguerite est loin d’être un exemple isolé puisque Wikipédia (se basant grandement sur les travaux de la société mythologique française) recense quasiment une 40aine de saints tueurs de dragons. Bien sûr tout le monde connaît saint Michel et tous les lorrains connaissent saint Clément, mais beaucoup d'autres saints sont connus pour leurs confrontations sauriennes.

Les tueurs de dragons ne sont pas nés de la dernière pluie puisque les mythologies font apparaître des dragons dans de nombreuses cultures. Il est d’ailleurs très probable que beaucoup de ces saints sauroctones, marchant sur les traces du roi Arthur et autres personnages de récits celtiques (entre autre), soient en fait des christianisations de croyances païennes.



Le plan :

Voici le plan pour vous rendre à la basilique d'Avioth, et celui pour vous rendre dans la forêt de Verneuil-Grand.


Légendes thématiquement proches :


Légendes géographiquement proches :



Bibliographie :

Le site de la basilique d’Avioth. http://www.avioth.fr/accueil.php

Le guide de la Lorraine de l’étrange. Jean-Paul Ronecker. Page 28.

Base de données Palissy

Marguerite d’Antioche. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite_d'Antioche

Saint sauroctones. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_saints_sauroctones

Les sauroctones. Société de Mythologie Française. http://www.mythofrancaise.asso.fr/mythes/themes/saurocto.htm

L’image de sainte Marguerite d’Antioche : un imaginaire remis en question. Martine Creusy-Chopard. http://imageson.org/document511.html

Grand livre des saints – Culte et iconographie en Occident. Jacques Baudoin. Pages 328 à 321.

8 commentaires:

Mélusine a dit…

En effet, le diable est souvent évoqué comme un mi-bouc et il suffit de peu pour qu'il passe de monstre à démon !
Quant à la christianisation, c'est Augustin le premier qui a tout modifié sur les cultes païens pour se donner le maitre du christianisme nouveau, le nouveau Messie !! Il faut dire qu'il ne perdait pas grand chose en se convertissant sur son lit de mort...

Therion a dit…

Par contre je me demande pourquoi l'on représente de diable sous ces traits. Peut être le sais-tu ? J'avais lu ça quelque part mais impossible de remettre la main dessus.

Anonyme a dit…

Un début de réponse ici :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Dieu_cornu

Bravo pour ce nouveau reportage :o)

Mélusine a dit…

Oupsss, je me suis trompée, ce n'est pas Augustin, mais Constantin...
Pour le diable mi-bouc, on dit que c'est souvent inspiré du Dieu Pan

Anonyme a dit…

Quel travail !
:)

Bertaga a dit…

On est allé faire un petit tour à Avioth aujourd'hui et je me suis amusé à chercher cette petite statue que je n'aurais bien évidemment pas remarquée sans ton article.

Il ne me reste plus qu'à attendre un peu d'inspiration pour écrire, moi aussi, un petit billet sur Avioth et sa basilique.

Mélusine a dit…

Une petite douceur pour toi sur mon blog : http://aupaysdemelusine.blogspot.com/2008/07/prix-arte-y-pico.html
Cours- vite !

Bertaga a dit…

Reviens-nous vite Therion !!